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DE

ZOOLOGIE EXPÉRIMENTALE

ET GÉNÉRALE

PARIS. TYPOGRAPHIE A. IIKNNIJYER, 7, HUK u'aIU.KT.

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ZOOLOGIE EXPÉRIMENTALE

ET GENÉIixVLK

HISTOIRE NATURELLE MORPHOLOGIE ~ HISTOLOGIE ÉVOLUTION DES ANIMAUX

PUBLIÉES SOUS LA DIllIÎCTION UK

HENRI DE LACAZE-DUTHIERS

MEMRRE DE l'iNSTITIT DE FRANCE

(Académie des sciences)

SMUH- ESSEUn d'aN VTOMIE COMPARÉE ET DE ZOOLOGIE \ F, \ SORBONNE

(Faculté des sciences)

TOME QUATRIÈME 1875

LIBRAIRIE DE C. REINWALD ET C

13, RUE DES SAIXTS-PKHEP, 15

NOTES ET REVUE.

I

RÉCLAMATION Par M. Rây-Lankester.

Monsieur et savant collègue.

Dans le numéro de vos Archives de zoologie expérimentale de juillet 1874, M. Hermann Fol a écrit une « note sur le développement des Mollusques ptéro- podes et céphalopodes w, dans laquelle, tout en m'accordant la priorité de la découverte de la shell gland des Mollusques (invagination préconchylienne), il se livre contre moi à plusieurs accusations, qui sont très-graves et en même temps très-déshonorantes.

J'aime à croire qu'il n'est point nécessaire que je vous dise que cette note m'a fait de la peine, et aussi m'a vivement indigné. On comprendra facile- ment qu'une pareille attaque n'est en rien moins désagréable pour moi, quand même je ne trouverais aucune difficulté à vous donner ici des preuves aussi simples que positives que toutes les accusation portées contre moi par M. Fol manquent complètement de fondation. Vous conviendrez donc avec moi que c'est à M. Fol de se rendre bien compte de ses preuves, en attendant qu'il se retire d'une position peu digne de lui et de sa haute intelligence.

1. M. le professeur Rolleston, d'Oxford, a eu la bonté de m'écrire la lettre ci-jointe, qui témoigne du contenu d'un mémoire écrit par moi et lu devant la Société Royale de Londres en mars 1874. Cette lettre, comme vous le ver- rez, prouve incontestablement que je n'ai reçu de M. Fol aucune idée nou- velle relative ni à l'origine de l'entoderme par bourgeonnement des cellules nutritives, ni à la manière dont se développent les ganglions nerveux.

2. Ce fut pendant un voyage d'agrément que je passai à Messine. Je n'y suis resté qu'une seule nuit, n'ayant avec moi ni dessins ni notes de mes observations sur le développement des Mollusques.

Le jour de mon arrivée, je suis allé visiter M. Fol et n'ai passé qu'une demi- heure avec lui. Avant mon départ de Messine, le lendemain, je me suis encore une fois rendu chez lui, et j'y suis resté une heure à peu près. M. Fol n'est pas exact quand il affirme que je lui ai demandé la permission de lui faire une se- conde visite afin de regarder ses dessins plus en détail. Je ne les ai point exa- minés en détail, et je ne possède en ce moment qu'un souvenir vague de leur ensemble. Il est vrai que M. Fol m'en a expliqué quelques-uns et que je lui en ai fait mes compliments; mais j'ai fort peu parlé de moi et de mes idées sur l'embryologie des Mollusques. Je ne suis pas égoïste et trouvant M. Fol

ARCH. DE ZOOL. EXP. ET GÉN. T. IV. 187b. A

NOTES ET REVUE.

assez content du rôle d'explicateur monopoliseur des phénomènes embryogé- niques (qu'on voit bien qu'il s'arroge encore aujourd'hui), je lui ai laissé la parole, en me contentant, pour ma part, d'admirer ses dessins et ses aquariums.

3. Les accusations relatives aux cellules nutritives et aux ganglions ner- veux étant réfutées par la lettre de M. le professeur Rolleston, il reste quatre accusations faites par M. Fol dans son article de juillet dernier. Ces dernières se trouvent réfutées de la manière la plus simple et la plus absolue par le té- moignage d'écrits publiés, écrits cités et connus et qu'on s'imaginerait avoir été recherchés comme une étude spéciale par M. Fol lui-même. Ces écrits sont : à) Observations on the development of the Pont S?iail [Lymnœus stagnalis) de E. Ray-Lankester, Quarlerly Journal of Microsc. Science, octo- ber 1874 (l'article même dont se plaint M. Fol), et b) C. Vogt, Zoologische Briefe. Je vais donc réfuter catégoriquement les quatre accusations faites contre moi par M. Fol, en outre de celles auxquelles la lettre de M. RoUeston fait une réponse péremptoire, et cela en citant certaines parties des deux écrits dont je viens de vous donner les titres ci-dessus.

M. Fol m'accuse (p. xxxvii de son article) de m'être attribué le mérite de la découverte de l'invagination préconchylienne chez les Ptéropodes. A la page 369 de mon article déjà cité, Vartîcle même dont se plaint M. Fol, on lit : c( When at Messina during May of this year, I found that doctor Hermann Fol had discovered the same shell - gland in embryo Pteropods. » Pour mon compte, j'avoue qu'il me parait tout à fait incroyable que M. Fol ait eu le cou- rage de faire de telles accusations contre moi, sans avoir lu avec une soi- gneuse exactitude l'article dont il se plaint.

Et si M. Fol a lu les mots que je viens de citer, comment explique-t-il sa conduite ?

â'' M. Fol m'accuse (p. xxxv, xxxvi) d'avoir décrit la naissance du foie par la formation de diverticules du canal alimentaire chez le Lymnée en consé- quence des communications qu'il m'a faites à Messine relatives aux Ptéro- podes. Il faut en convenir, je ne suis pas si peu raisonnable; je dis tout sim- plement, p. 386 du Quarlerly Journal of Micvoscopical Science, octobre 1874: « Nor have I observed the development of the liver and the absorption of the two masses of pellucid cells, which LerebouUet bas described, since Ihave not pursued the embryos to that phase. » Je cite les observations de M. Lere- bouUet sur le Lymnée publiées dans les Annales des sciences naturelles de 1862. Il n'y a, dans les observations de M. Fol sur la naissance du foie chez les Pté- ropodes, rien de nouveau ni d'étonnant pour ceux qui ont déjà étudié l'em- bryogénie des autres types animaux.

M. Fol est cependant obligé de me reconnaître la découverte de l'inva- gination préconchylienne ou shell gland, mais il ajoute : « Toutefois ce savant ne paraissait pas avoir suivi et étudié les relations précises de cet organe avec le manteau » (p. xxxvi); et ensuite il dit: « Depuis lors, M. Ray-Lankester paraît avoir adopté ma manière de voir. )> M. Fol ignorait complètement, quand j'étais à Messine, et ignore encore aujourd'hui jusqu'à quel point j'ai suivi et étudié cet organe ; mais il devrait savoir que j'en ai eu connaissance dès 1871 chez le Pisidium et chez l'Aplysie dès 1872. Il se trompe aussi beau- coup en supposant que j'ai adopté « sa manière de voir ». M. Fol s'imagine-

NOTES ET REVUE.

m

l-il donc qu'on ne peut avoir à ce sujet « une manière de voir » sans avoir recours à son intervention? A vrai dire, j'ignore complètement en ce moment quelle est la manière de voir de M. Fol, mais je ne doute point qu'elle ne s'appuie sur des faits connus.

Dans une note, p. xxxvr, M. Fol fait une allusion mystérieuse à un écrit de Cari Vogt «sur le voile des Gastéropodes pulmonés, dont un auteur récent s'attribue la découverte » (voir G. Vogt, Bilder ans dem Thierlehen, 4852). L' (c auteur récent », c'est moi. Je ne puis en ce moment me procurer le livre dont il s'agit; mais dans les Zoologische Briefe du même auteur, publiés en 18j1, je trouve, p. 35i, les mots suivants : « (Die Wimpern) wenn sie gleicli in der Stirngegend sicli am kraftigsten entwickeln und so gewissermassen einen Ersatz fur die Segel bilden, so werden sie doch niemals bedeutend genug um jene Bildung von Schwimmsegein wie sie bei den Kiemenschnecken vorkommt, veranschaulichen zu konnen. » Dans quel but M. Fol a-t-il prétendu que Cari Vogt avait déjà observé le voile chez le Lymnée? Les propres paroles de G. Vogt ne prêtent aucunement à cette interprétation.

Il ne me reste maintenant, monsieur le directeur, qu'à vous présenter la lettre de M. Rolleston, dont je vous envoie une traduction et l'original pour faire foi.

Je devrais aussi vous faire remarquer que ni M. Fol ni moi ne pouvons nous attribuer beaucoup d'originalité dans les idées dont il s'agit quant à l'origine des cellules de l'entoderme par bourgeonnement des cellules nutritives {residual yelk) ; c'est surtout d'après les travaux précieux de Kowalevsky sur l'embryo- génie de l'Euaxes et du Lombric qu'on peut se rendre un compte précis des idées analogues. A M. Selenka d'Erlangen aussi on doit des réflexions très- importantes sur la formation de l'entoderme des Mollusques par «épibole » et par (( embole ».

Je vous prie, monsieur et savant collègue, de croire à l'assurance de ma haute considération .

E. RaY-LaN RESTER,

Fellow of Exeter Collège, Oxford, Professer of zoology and comparative anatpmy in University Collège, London.

Lettre de M, le professeur Rolleston.

TRADUCTION.

tt Le 19 janvier 1874, j'ai communiqué à la Société royale de Londres une série de mémoires de M. E. Ray-Lankester sur l'histoire embryogénique des Mollusques. Gomme j'ai toujours eu connaissance du manuscrit et des planches originales de M. Ray-Lankester à ce sujet (ils sont maintenant la propriété de la Société royale) et que je les ai en ce moment entre les mains, j'ai toute les fa- cilités pour démontrer que les accusations portées par M. Hermann Fol dans le numéro àe^ Archives de zoologie expcrimcnlale de juillet 1874 ne sont fondées que sur une connaissance insuffisante des faits dont il s'agit et que par conséquent M. Fol devrait les retirer. Je ne veux assurément point dire que M. Fol ait porté

IV

NOTES ET REVUE.

ces accusations sans être lui-même complètement convaincu de la vérité de ce qu'il affirme; mais, d'un autre côté, je possède toutes les preuves nécessaires pour démontrer positivement qu'elles sont fausses, et, cela étant, je ne pour- rais douter que M. Fol ne soit le premier à admettre qu'il a agi très-précipi- tamment dans cette affaire.

« A la page xxxiv, dans sa note [Archives de zoologie expérimentale), il af- firme que la relation des cellules nutritives du vitellus avec l'entoderme était pour M. Ray-Lankester une idée complètement inconnue jusqu'à son voyage à Messine en 1874, lorsqu'il a reçu de M. Fol une explication de ses observa- tions et de ses idées à ce sujet. De plus, M. Fol affirme que ces mêmes obser- vations dont il lui a fait part ont été publiées par M. Ray-Lankester comme lui appartenant dans son mémoire sur le Lymnée publié en octobre dernier dans le Quarterly Journal of Microscopical Science. Il suffit que j'observe ici que la simple lecture des mémoires à M. Ray-Lankester présentés par la Société royale de Londres en janvier 1874, pourra démontrer que la possibilité de rela- tions actives entre les cellules nutritives, et celles de l'entoderme, avait été re- marquée par M. Ray-Lankester plusieurs mois avant sa visite au laboratoire de M.FoI.

« Cependant, en présentant ces preuves, je dois faire remarquer, en faveur de M. Fol, que l'explication donnée par M. Ray-Lankester dans son article Zoological Observations made ai Naples in the winter of 1871-72 [Annals and Magazine of Natural History, février 1873) est assez abrégée pour excuser, de la part de M. Fol, l'erreur des conclusions qu'il en tire page xxxiv de sa note; mais la preuve positive de ce que M. Fol se trompe complètement est établie par ce que je vais succinctement vous citer du mémoire plus détaillé de M. Ray- Lankester, mémoire qui passa de mes mains entre celles de la Société royale de Londres quatre mois avant la visite que M. Ray-Lankester fit à M. Fol à Messine.

(( A la page 55 de son manuscrit (que j'ai en ce moment entre les mains) et page 16 du mémoire imprimé, M. Ray-Lankester, en traitant du développement d'Aplysia major, décrit ainsi un amas de cellules, lettre X, qui forme la couche mésobiastique : ce They may contain corpuscles derived from the yellow sphères or may be solely the remuant of the colourless clea- vage yelk after the séparation of the epiblast. » (Voir aussi p. 17, 50.) Il sem- blerait peut-être impossible de démontrer plus exactement les deux alterna- tives, mais M. Ray-Lankester nous fait encore plus clairement comprendre son entière connaissance de leur existence dans son compte rendu de cette décou- verte (découverte très-importante), qui dit que dans Aplysia minor (Pleuro- branchidum, sp.?) « les parois de l'intestin se forment d'une manière diffé- rente de ceux d'Aplysia major. » M. Ray-Lankester ayant découvert que dans ces derniers MoUusques, les granules jaunes du vitellus font partie de la paroi du canal alimentaire, tandis que dans Aplysia minor ils sont en dehors, il nous dit encore (p. 21 du mémoire imprimé pour la Société royale de Londres et p. 73-74 du manuscrit) : « There is no question in this case of any breaking up of the yellow masses or of thcir possibly furnishing formative élé- ments by ségrégation to take the sole or a part of the work of building the liypoblast. » Il est possible d'affirmer que ces idées nous sont présentées c( sous forme dubitative » ; mais c'est co que dit M. Fol lui-même du mémoire

NOTES ET REVUE.

V

de M. Ray-Lankestcr sur les Lymnées, et quiconque voudra comparer du langaf^e dont se sert M. Ray-Lankester pages 379, 383 et 385 de ce mémoire avec celui cité ci-dessus de la Société royale, trouvera qu'il n'est devenu ni plus affirmatif ni plus précis. Il est assez curieux qu'ici M. Ray-Lankester ait pris d'avance une noble revanche sur M. Fol en citant dans son mémoire imprimé pour la Société royale de Londres, p. 33, et p. 118 du manuscrit, les propres observations de M. Fol sur les Géryonides. Voyons les mots de M. Ray-Lankester : « M. Herman Fol's observations are of especial value since he shows most carefully how froni the earliest period even when the egg is unicellular its central part bas the character of the entodermal cells, its peri- pheral part that of the ectodermal cells. » Il ne reste plus rien à dire pour compléter la justification de M. Ray-Lankester à ce propos ; passons à un autre point.

« Page xxxvui des Archives de zoologie expérimentale, bc, M. Herman Fol pré- tend que quand il fit la connaissance de M. Ray-Lankester à Messine au mois de mai 1874, ce savant ne possédait que « des idées peu exactes sur la forma- tion du système nerveux, » qu'il croyait encore que « le premier rudiment des ganglions nerveux se détachait de l'ectoderme dans la région de la nuque en arrière du voile », et qu'ayant appris que les choses se passaient autrement d'après ce qu'il avait vu chez M. Fol, il a décrit et dessiné le développement du système nerveux chez les Lymnées quatre mois plus tard « d'une manière parfaitement conforme aux idées et aux dessins d'alors » de M. Fol. En réponse à cette accusation, je dois dire premièrement que dans le mémoire imprimé, p. 19, et dans le manuscrit, p. 66, M. Ray-Lankester s'exprime de la manière suivante en dépeignant le développement d'Aplijsia major : a In the vélum area a thickening of the epiblast is seen forming a distinct boss or lobe which appears to be the commencement of the cephalic nerve ganglion ; » et en se- cond lieu je devrais dire à ce sujet que M. Ray-Lankester expUque qu'il essaye d'éclairer ce sujet en peu de mots, mais par de nombreux dessins, et qu'il l'a illustré dans ses planches, fig. XXX, XXXII, XXXV, XXX VIII, XXXIX (et aussi, je crois, dans la figure XXXVI, il laisse le ganglion sans lettre) distinctement en découvrant le développement du ganglion nerveux en dedans du vélum, area.

« Dans bien peu de temps les mémoires de la Société royale de Londres seront publiés, et il sera alors possible à tout le monde de comparer d'un côté le mé- moire de M. Fol et de l'autre celui de M. Ray-Lankester. Je ne devance donc que de très-peu le jugement des biologistes (ayant en main le mémoire de M. Ray- Lankester) quand je dis non-seulement que M. Ray-Lankester serait peu tenté de s'approprier les idées d'un autre quand il est en possession d'une quantité de résultats précieux qui lui sont propres,, mais que, toute considération a priori ou personnelle mise de côté, il est complètement démontré qu'il n'en a rien fait dans le cas actuel.

(( George Rolleston, « Feliow of the Royal Society and Linacre professor of anatomy and pliysiology hi the Unlversity of Oxford. »

¥1

NOTES ET REVUE.

II

SUR LE TUBIFEX VMBELLIFER ( Ray-Lankester) ;

Par M. Edmond Peruier.

La grande constance et la simplicité de la forme des soies chez le petit nombre d'Annélides oligochètes connues jusqu'ici contraste d'une manière remarquable avec la variabilité et la complexité de ces mêmes organes chez les Annélides marines ou polychètes. Tandis que chez ces dernières les soies affectent un grand nombre de formes différentes et sont pourvues d'ornements ou d'appendices variés, trois formes de soies ont été seules signalées pendant longtemps dans le groupe des Annélides oligochètes ou Lombricines; les soies simples, telles que celles des Lombrics; ies soies fourchues, que chez un grand nombre de Naïdiens on trouve seules ou combinées avec les soies capillaires, grêles et les soies de la troisième .sorte, très-allongées. On sait que Grube et M. Léon Vaillant ont fondé sur le mode de répartition de ces trois sortes de soies les principales divisions dans lesquelles ils ont réparti les Lombriciens connus jusqu'à eux.

Les premiers Oligochètes, présentant d'autres formes de soies que celles dont nous venons de parler, ont été découvertes par Glaparède : ses Ctenodri- lus, voisins des Chœtogaster, ont des soies pectinées à leur extrémité libre ; ses Helerochœta, des soies terminées en cupules parmi celles des faisceaux supé- rieurs. Jusqu'en 1868, ces animaux sont demeurés les seules exceptions à la règle et l'on pouvait croire que ces soies de forme insolite étaient propres à des genres eux-mêmes parfaitement caractérisés.

A cette époque, dans une série de dragages entrepris pour étudier la faune du lac Onéga, M. Karl Kessler recueillit cinq ou six exemplaires d'un Ver fort curieux par la forme de ses soies, dont un certain nombre présentaient à leur extrémité libre un élargissement triangulaire marqué de stries rayonnant à partir du sommet de l'angle et correspondant ù des denticulations de la basé libre du triangle. Les deux côtés un peu épaissis de celui-ci figuraient la bifur- cation ordinaire entre les branches de laquelle se serait trouvée étendue la membrane striée et denticulée constituant réiargissement en question. La description de ces animaux parut dans un supplément aux Mémoires du premier congrès des naturalistes russes à Moscou, dans un travail intitulé : Matériaux pour la connaissance de la faune du lac Onêfja et de son territoire. Ces nouveaux Lombriciens furent désignés par M. Karl Kessler sous les noms de Sœnuris ou Naïdina umbellifera, ce nom spécifique faisant précisément allu- sion à la forme singulière de leurs soies locomotrices.

Trois ans après, à son grand étonnement, M. Ray-Lankester retrouva le Naïdien du lac Onéga dans le limon de la Tamise, à Londres, et cette fois en assez grande abondance, du moins en certains endroits. Il put constater que c'était bien un véritable Tubifex, peu différent anatomiquement du Tubifex rivulorum avec lequel il est fréquemment associé; il adopta, pour l'animal nouveau, le nom de Tubifex umbellifer. Comme il était assez étonnant que

NOTES ET REVUE.

VII

cet animal eût échappé aux recherches antérieures, M. Ray-Lankcster se de- mandait, en terminant sa notice, s'il n'avait pas été apporté par quelque navire dans les docks de Londres.

Nous sommes aujourd'hui en mesure d'étendre encore l'aire de répartition de cette intéressante espèce ; nous venons do la rencontrer à Paris même, en assez grande quantité, et ce fait semble indiquer qu'il s'agit là, non pas d'une espèce importée, mais bien d'une espèce réellement indigène, répandu(i sans doute dans la plus grande partie de l'Europe.

C'est dans le grand réservoir souterrain du Jardin des Plantes de Paris, alimenté par les eaux de la ville, que nous avons trouvé le Lombricien de M. Karl Kessler. Il est extrêmement abondant dans la vase qui s'accumule autour des gros paquets de Dreissena qui ont envahi ce bassin et sur lesquels rampent en grand nombre les stolons des colonies du Cordijlophora lacustris ; nous avons pu, à cette occasion, constater de nouveau l'existence dans les eaux de Paris de cet intéressant hydrain. Au milieu de ces coquilles de Dreissena ou de l'eau qui les baigne, on trouve en même temps une grande quantité ô'Ancylus fluvialilis, de Planaires, de charmants Turbellariés rhabdocèles; en un mot, toute une faune dont l'étude ne serait certainement pas sans intérêt.

Le Tubifex umbellifer nous a frappé tout d'abord à cause de sa taille consi- dérable (quelques exemplaires atteignaient 70 à 80 millimètres) et de sa cou- leur rouge due aux vaisseaux sanguins de cette couleur, qui sont très-appa- rents sous ses téguments. L'extrémité postérieure du corps est beaucoup plus grêle que l'antérieure ; l'animal, au 15 février, c'est-à-dire en plein hiver et par un temps très-froid, se trouvait en pleine maturité sexuelle ; mais il faut probablement attribuer cette précocité à la position du réservoir enfoncé de plusieurs mètres sous terre, position qui implique une constance de tempéra- ture très-favorable au développement des animaux. C'est aussi à cette raison qu'il faut attribuer l'existence en plein hiver de Cordylophora et même d'Hy- dres brunes sur les coquilles des Dreissena de ce réservoir.

Chez notre Tubifex la ceinture commence au bord postérieur du dixième anneau sétigère et il est à remarquer que ce sont les anneaux antérieurs à la ceinture qui seuls possèdent les soies de forme singulière que l'on peut appeler soies palmées. Ces soies ne se trouvent d'ailleurs que dans les faisceaux supé- rieurs, oii elles peuvent atteindre le nombre de neuf et elles sont combinées avec de longues soies capillaires dont le nombre n'excède pas quatre. Après le onzième anneau sétigère, ces dernières soies disparaissent même, de sorte que tous les faisceaux de soies, tant supérieurs qu'inférieurs, sont constitués par deux ou même une seule soie bifurquée à son extrémité libre et rentrant par conséquent dans les formes ordinaires. Tous les faisceaux ventraux, depuis le premier anneau sétigère jusqu'au dernier, sont du reste exclusivement composés de soies bifides qui sont plus petites dans les dix premiers anneaux que dans les suivants. Ces soies sont, comme d'habitude, recourbées en forme d'S. En résumé, le Tubifex umbellifer présente donc cette particularité remar- quable, unique jusqu'ici parmi les Naïdiens, d'avoir des soies de trois formes différentes dont deux, les soies palmées et les soies capillaires, sont exclusi- vement limitées aux dix ou onze premiers anneaux sétigères et aux faisceaux supérieurs de ces anneaux.

vm

NOTES ET REVUE.

Le tableau suivant, emprunté à Ray-Lankester et dont nous avons pu con- stater l'exactitude générale, donne une idée du mode de répartition des soies sur les différents anneaux ; il a été dressé d'après un individu non adulte, mais il s'applique également à ceux dont l'appareil génital est bien développé :

Faisceau ventral. Faisceau dorsal.

Numéro Toutes des anneaux. les soies bifides. Soies palmées. Soies capillaires. Soies bifides.

1

3

5

2

2

4

5

3

3

4

8

3

»

4

3

9

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5

3

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2

»

»

2

La note de M. Ray-Lankester sur le Tubifex umbellifer a paru dans un ar- ticle des Annals and Magazine of Natural History (1871, p. 92) intitulé : Out- Unes of some Observations on the Organisation of Oligochetous Annelids.

Nous n'insisterons pas davantage pour le moment sur ce curieux animal qui présente toutes les habitudes des Tubifex, même le bizarre mouvement oscil- latoire de leur extrémité postérieure, et qui montre une fois de plus combien peut être illusoire l'emploi trop exclusif des caractères fournis par les soies locomotrices pour la classification des Lombriciens.

Le Deroobtusa et le Tubifex umbellifer^ tous deux abondants dans les bassins du Muséum, oi^i on trouve aussi le singulier genre OEolosoma, comptent certai- nement parmi les plus remarquables Lombriciens limicoles.

III

LETTRE DE M. LE PROFESSEUR C. SEMPER

Messieurs, dans votre journaP pour novembre'1874, p. 383, M. Giard m'at- tribue une erreur dont je ne suis pas coupable. Il dit : « Une erreur sem- blable à celle de M. Gerbe, a été faite par le professeur Semper, qui décrit comme fournissant une larve d'une forme (m-particulière un Peltogaster des îles Philippines, dont il n'a évidemment observé les embryons qu'après les premières heures lorsqu'ils avaient déjà pris la forme cypridienne.

J'ai la confiance que vous serez assez aimables pour me permettre de pré- senter quelques remarques à ce sujet.

^ Ann. el Magaz. ofNat. Hislory.

NOTES ET REVUE.

IX

Ayant observé la larve cypridienne d'un Pcltogaster dans lesPclews dès 1861, et ayant envoyé en 1862 à l'éditeur du Zeitschr. fûrwiss. ZooL, et aux éditeurs des Annals and Magazine of Nalural History, les quelques observations que j'ai faites sur elles, et qui ont paru dans l'année 1863, je ne pouvais évidemment savoir que Fritz MùUer décrirait en \S(j3{Arch. fur Naturgesch., XXIX, febr.) la seconde larve des Suceurs. A cette époque on ne connaissait encore que leur première larve à forme de Nauplius. J'étais par conséquent autorisé à dési- gner comme particulière une larve qui différait de toutes celles que l'on con- naissait, je pouvais même avec raison la dire ^rès-particulière, quoique je ne l'aie pas fait. Elle était particulière non-seulement à cause de sa forme incon- nue, mais aussi à cause de ses deux yeux, alors que les larves connues des Rliizocéphales n'avaient toutes qu'un seul œil.

M. Giard m'attribue une erreur parce qu'il pense que tous les Rbizocé- phales doivent avoir la forme de Nauplius pendant leurs premiers états lar- vaires. Mais ce n'est qu'une hypothèse. M. Giard n'a pas examiné l'espèce que j'ai découverte dans le Pacifique, il n'a par conséquent pas le droit de m'accuser d'avoir commis des erreurs dans mes observations. Dans le sac totalement clos de la mère il n'y avait que des larves cypridiennes, aucun Nau- plius, aucune peau vide que je puisse attribuer à ces derniers. Pourquoi dès lors le développement de cette espèce ne serait-il pas abrégé, comme c'est le cas pour tant d'autres crustacés ? M. Giard ne publie aucune observation qui puisse prouver l'impossibilité d'une telle abréviation. En conséquence je persiste dans l'opinion que l'espèce décrite depuis d'après mes dessins et mes spécimens par le docteur Russm.ann sous le nom de Thompsonia globosa {Ferhandl. d. phys. med. Gesellsch. zu Wûrzburg, 1872, oder Ârbeiten aus dem Zoologisch Zootomischen Institut zu Wilrzburg, Bd I, p. 131) a des larves qui sortent de l'œuf sous la forme cypridienne. Il n'y a même aucune raison de supposer, comme semble le faire peu judicieusement M. Giard, qu'elles subissent dans l'œuf un changement de forme important, quoiqu'il reste cependant à s'en assurer.

Votre très-dévoué, C. Semper.

Wûrzburg', 20 novembre 1874.

IV

CRITIQUE DE LA GASTR.EA-THÉORIE, Par M. Alex. Agassiz (Traduction par M. A. Schneider.)

Un point plus important encore que soulève l'embryologie des Gténophores, est relatif à la G astrœa- théorie d'Haeckel, par laquelle cet auteur prétend sup- planter la théorie des types d'organisation, en nous donnant à la place

1 Extrait de The Memoirs of the American Academy of Arts and Sciences, vol. X, no 3; 1874.

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un nouveau système basé sur l'homologie des feuillets du blastoderme et de la cavité digestive primitive. Hgeckel s'efforce, dans sa G astrœa- théorie, d'expliquer le développement naturel des espèces par des causes purement mécaniques, et il ose non-seulement nommer, mais encore figurer l'ancêtre primitif duquel tous les types sont issus ! Cet ancêtre inconnu, dit-il, doit avoir été constitué comme la Gastrula (nom nouveau d'une chose depuis longtemps connue de tous ceux qui s'occupent des Invertébrés, la Planula de Dalyell). Haeckel voudrait nous persuader que cette Gastrula est une phase embryonnaire nouvellement découverte; tout ce qu'il nous a donné à ce sujet, ç'a été de rappeler l'existence des Planula chez les Spongiaires, elles avaient été antérieurement découvertes par Miklucho-Maclay. Depuis la publication de l'article d'Hœckel, son interprétation spéciale d'affinités chimériques et d'homologies qui n'existent qu'entre les formes évoquées par la vive imagina- tion de l'auteur, a été suffisamment critiquée par Metschnikoff ; si bien qu'aussi longtemps que nos connaissances sur le développement des Spongiaires ne seront pas un peu plus parfaites, nous renoncerons ù la discussion de leurs affinités avec les Cœlentérés, en dépit des ingénieux arguments mis en avant pour appuyer les vues de Leuckart sur ce point. L'existence de Planula, h paroi formée d'un ectoderme et d'un entoderme, a été suffisamment prouvée pour les Acalèphes, Echinodermes, Polypes, Vers, Arthropodes, Tuniciers, Mollusques et enfin pour l'Amphioxus ; les travaux de J. Muller, Krohn, Agas- siz, Kowalevsky, Sars, Allman, Claparède, Kupfer, Metschnikoff et autres sont assez connus pour dispenser de toute citation à cet égard. Jusque-là, nous sommes en parfait accord avec Haeckel, et c'est sincèrement qu'avec lui nous reconnaissons la valeur systématique de ce premier stade embryonnaire. Mais voyons à suivre l'auteur dans sa marche ultérieure et à faire la séparation de ce qui est connu d'avec ce qu'Haeckel indique comme l'étant. C'est un fait connu que la Planula est constituée par un ectoderme et un entoderme. C'est un fait connu que la cavité digestive primitive est, dans le cas des Echinoder- mes, des Cténophores et de quelques Discophores, formée par une invagination de l'ectoderme, si bien que ses parois sont, dans ce cas au moins, invariablement constituées par cet ectoderme. Non moins connu est-il aussi, d'autre part, que chez les Actinies, Vers, Hydroïdes, la cavité digestive primitive est creusée dans la masse intérieure du jaune et que sa paroi est formée par l'entoderme. C'est un point sur lequel nous devons insister avec force, bien que Haeckel le con- sidère comme absolument insignifiant; car il nous semble détruire par la base son argument. Si la Gastrula peut, dans certains cas, et pour des classes aussi étroitement alliées que les Actinies et Hydroïdes d'une part, les Echinodermes et Cténophores de l'autre, être construite de façon si différente, que dans le premier cas la cavité digestive soit circonscrite par l'entoderme, et dans l'autre par l'ectoderme, que deviennent donctoutes ces généralisations ultérieures sur la valeur de ces deux couches au point de vue de la systématique? La distinction de l'entoderme et de l'ectoderme est, ainsi qu'Haeckel lui-même en convient et que cela a été suffisamment démontré par Kowalevsky, d'une importance anatomique extrême; comment alors est-il possible que ces Planula, si différem- ment constituées, aient cette communauté d'origine qu'Haeckel revendique pour elles quand, dès leur apparition embryonnaire, les différences sont si

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tranchées, qu'à prendre à la lettre la véritable théorie des feuillets blasto- dermiques, si rigoureusement précisée par Ha)ckel, aucun rapprochement ne devrait être possible entre des parties dérivant l'une de l'ectoderme, l'autre de l'entoderme, ces deux couches primitives de l'embryon ! Ce qui n'est pas connu non plus, et ce qu'Ha3ckeI admet, c'est que les parois de la cavité diges- tive primitive sont invariablement constituées par l'entoderme ; quand il consi- dère que le résultat (la Gaslrula) est le même, que la formation vienne de l'ec- toderme ou de l'entoderme, il admet exactement l'inverse de ce qui est connu. Ce qu'on ignore aussi et ce qu'Hseckel nous apprend, c'est que la Planula, par ce seul fait qu'elle se fixera ou non par une de ses extrémités, conduira dans un cas à un type radiaire; dans l'autre, à un type bilatéral. Que fait-on dans cette vue de tous ces embryons libre-nageurs d'Echinodermes, d'Aca- lèphes, de Polypes? Sont-ils bilatéraux? Sans doute Haeckel est obligé, pour rester d'accord avec sa théorie, de considérer les Echinodermes comme une agrégation d'individus; mais il n'a pas en cela l'agrément d'un seul zoolo- giste dont l'opinion, relativement aux Echinodermes, soit de quelque valeur. Quand il dit que Sars, qui connaissait si bien le développement des Echino- dermes, penchait vers cette idée, nous ne pouvons que répondre que cet assentiment doit être le résultat d'un malentendu. Il y a tout autant d'ani- maux radiaires que d'animaux bilatéraux qui proviennent soit de Gas- trula fixées, soit de Gaslrula pélagiques. Citer un tel fait comme la cause efficiente, la raison mécanique de la descendance génétique de tous les Radiaires d'une Gastrula fixée et de tous les types bilatéraux d'une Gaslrula libre, est simplement fantastique. Comment se fait-il que nombre d'Actinies et d'Acalèphes aient leur structure radiaire développée longtemps avant qu'ils se fixent? Ce qui est inconnu aussi, c'est que les feuillets embryonnaires des Acalèphes sont des termes véritablement homologues à ceux des Vertébrés supérieurs. Huxley a dit simplement qu'il y avait de part et d'autre la même relation physiologique entre les feuillets ; mais jusqu'à ce que nous connais- sions la Gaslrula dans d'autres vertébrés que l'Amphioxus, c'est en vain qu'on parlera de la continuité existant entre l'ontogénie de l'Amphioxus et celle des autres vertébrés, et qu'on représentera qu'ainsi il n'y a pas le moindre doute que les prédécesseurs de ces derniers aient aussi passé, dès le début de leur développement, par la forme de Gastrula! Ni Haeckel ni quelque autre que ce soit n'a vu cela ; c'est une supposition agréable, qu'on puisse ou non la prouver.

Une confusion considérable résulte, dans la classification d'Haeckel, de ce qu'à un certain moment on y accorde l'importance prépondérante à la forma- tion de la cavité générale du corps et qu'on en fait la clef de voûte de cette classification phylogénétique, alors qu'auparavant on avait pris pour base les rapports du phylum avec le Protascus et le Prothelrais (noms donnés par Haeckel aux ancêtres inconnus des types radiaire et bilatéral). Cela met l'au- teur dans la fâcheuse situation d'avoir un phylum du règne animal (le type ra- diaire) qui a perdu la faculté d'acquérir une cavité générale, encore bien que les descendants de ce phylum, étrange phénomène (tout à fait contraire aux rôles assignés par la théorie), se soient arrangés pour s'en procurer une par quelque procédé inexpliqué. Nous ne voyons pas comment il peut être établi

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avec tant d'assurauco par Haickel quu les Echinoclerines ont perdu leur organe nerveux central ; il n'y a nulle preuve qu'il ait jamais existé. Tl n'y a jusqu'ici aucune preuve que ce soit que les organes ;des sens aient la même origine pliylogénétique, eux qui (ainsi qu'il fut si souvent insisté sur ce point par Agassiz) ne sont pas homologues dans les différentes branches du règne ani- mal. Quant liaeckel dit que la bouche des Echinodermes n'est pas homologue de la bouche primitive, nous ne pouvons que le renvoyer aux mémoires de Millier, de Metschnikoff et de moi-même pour trouver la preuve du contraire.

11 n'est pas douteux, et qu'Haeckel insiste avec raison sur ce point, que, pour la majorité des naturalistes de l'époque actuelle, l'idée de type ne soit toute dif- férente de ce qu'elle était pour Cuvier et de Baër. La probabilité de la com- munauté primitive d'origine de ces types est suggérée par les nombreuses formes dites intermédiaires, tant vivantes que fossiles, lesquelles, encore bien que nous puissions les ranger dans telle ou telle grande branche du règne ani- mal, n'en témoignent pas moins que nous ne pouvons pas plus longtemps considérer les grands types du règne animal comme des cercles fermés, mais qu'il faut plutôt les regarder comme offrant de l'un à l'autre des relations simi- laires à celles que les autres divisions de nos systèmes ont entre elles. Ce changement résulte principalement d'une connaissance plus approfondie de l'embryogénie d'un petit nombre de types bien connus.

Mais que deviennent toutes les suppositions qui forment la base de la Gas- Irœa-lhéoric d'Haeckel ? Elles sont totalement dépourvues d'appui ; et avec leur réfutation s'écroule la théorie ; elle peut seulement revendiquer sa place à côté des autres systèmes physiophilosophiques ; ce sont d'ingénieuses com- binaisons laborieusement élaborées suivant les intérêts de théories spéciales, et qui tombent à néant du moment que nous les plaçons en regard de nos connaissances actuelles. Le temps n'est pas encore venu des classifications embryologiques; l'essai d'Haeckel en témoigne assez iiaut; il ne nous porte en aucune sorte plus loin que les autres classifications embryologiques qui l'ont précédé: on donne de nouveaux noms à quelques combinaisons légèrement différentes ; mais une base vraiment scientifique pour une classification fondée sur la valeur des feuillets embryonnaires fait en ce moment absolument dé- faut. Les tentatives de ce genre ne peuvent être que de pures spéculations dont la preuve ou la réfutation appartiennent à l'avenir.

Ce qu'Hœckel substitue aux types reconnus du règne animal est tout simple- ment une autre manière d'envisager ces mêmes types, et sa Gastrœa-théorien'e^t pas en danger de renverser, quant à présent du moins, les classifications zoolo- giques actuellement en vigueur. D'ailleurs, si nous avons besoin d'un ancêtre pour notre phylum, pourquoi ne nous adresserions-nous pas à la cellule? Là, nous avons un point de départ défini, un élément typique sur lequel repose tout le règne animal et qui constitue les parois de la Gaslrula d'Hasckel. Il ral- liera tous les suffrages celui-là; mais si, quand nous reconnaissons que tous les organismes sont dérivés d'une cellule primitive et de son développement ultérieur, nous atteignons le rang d'une connaissance positive, nous sommes malheureusement aussi éloignés que jamais d'avoir assigné une cause méca- nique à la connexion génétique des différentes branches du règne animal. A l'idée de leur hliation directe suscitée par Hteckel qu'une telle connexion

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génétique existe ou non) , nous ne pouvons que répondre ce qui a été si sou- vent dit par d'autres: Gela peut être, mais, jusqu'à présent, il n'y a pas de preuve que cela soit ; et, en aucun cas, la Gastrœa'théorie ne nous fait avan- cer si peu que ce soit vers une explication mécanique d'une telle connexion, quelque probable que celle-ci puisse être.

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NOTE SUR L'ACCOUPLEMENT DES LOMBRICS,

Par M. Edmond Perrier, Maître de conférences à l'École normale supérieure, aide-naturaliste au Muséum d'histoire naturelle.

Malgré l'excellent Mémoire de Héring, publié en 185o, les auteurs qui parlent de l'accouplement et des organes génitaux externes des Lombrics ne le font jamais qu'avec des réticences nombreuses. Cette circonstance nous engage à faire connaître le résultat de nos observations personnelles à ce sujet. Il est admis en général que les Lombrics ne s'accouplent guère que la nuit et à la sur- lace du sol, quMls sont alors disposés tête bêche, les orifices génitaux mâles de l'un se trouvant dans le voisinage des poches copulatrices de l'autre, et vie versa. On n'indique pas d'habitude la position précise de ces orilices les uns par rapport aux autres, bien que déjà Morren, Savigny et Héring aient donné à ce sujet des renseignements assez circonstanciés. C'est seulement du reste au Lum- bricus herculeus de Savigny que s'appliquent les observations précédentes. Celles que nous avons à faire connaître ont été faites sur une petite espèce de Lom- brics, fort élégante, annelée de brun et laissant apparaître dans les intervalles des anneaux une humeur jaune, accumulée dans la cavité générale, pouvant être rejetée au dehors et répandant alors une odeur fétide très-prononcée, analogue à celle qu'exhalent les Coccinelles quand on les inquiète. C'est le Lumbricus fœtidus de Savigny. On le trouve en abondance, ainsi que ses œufs, dans le fumier et on peut constater, comme je l'ai fait maintes fois, qu'il n'a nullement besoin de venir à la surface pour s'accoupler, et que l'ac- couplement peut avoir lieu à toute heure de la journée. Une fois accouplés, les Lombrics ne se séparent pas brusquement, comme le font souvent leurs con- génères lorsqu'on les inquiète. On peut les prendre et les observer quelque temps, mais, comme ils font alors de nombreux efforts pour se détacher l'un de l'autre, ce qui vaut le mieux pour se rendre compte de leur, situation res- pective, c'est de les plonger brusquement dans de l'alcool assez fort pour les tuer presque instantanément. On peut alors constater que chaque Lombric est non-seulement accolé à l'autre ventre à ventre, mais que tous deux sont maintenus étroitement unis par un double anneau membraneux occupant toute la longueur des deux ceintures. On ne peut, en voyant de tels couples, se défendre de l'idée que chacun des Vers s'est engagé sous la cuticule de la cein-

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ture de l'autre et que c'est cette cuticule qui les unit au point d'étrangler considérablement le corps du Ver qu'elle embrasse et autour duquel déborde la ceinture de l'autre. Chaque Ver est alors comme logé dans une rainure ven- trale du corps de son compagnon. Ceux de ses segments qui sont contenus dans l'anneau membraneux de ce dernier sont précisément ceux qui portent les orifices des poches copulatrices et à l'intérieur desquels se trouvent en même temps les testicules (9 à 14).

Il est fort probable que la pression qu'exerce sur ces derniers organes l'anneau qui unit les deux Vers n'est pas sans influence sur l'évacuation du sperme. Il est à remarquer que l'accouplement se passe ici sans intromission d'un organe mélle quelconque dans l'orifice des poches copulatrices; il y a plus : les orifices mâles d'un Ver et les orifices des poches copulatrices de l'autre ne sont même pas juxtaposés et sont séparés par toute la distance que l'on trouve entre le quinzième anneau, s'ouvrent presque constamment les canaux déférents et le bord antérieur de la ceinture. Cette distance, dans certaines espèces, peut correspondre à plus de dix anneaux. Les orifices mâles des deux Vers sont placés entre les doux anneaux ; le sperme doit donc cheminer dans les nom- breux canaux formés par le rapprochement des deux Vers et compris entre eux pour arriver jusqu'à la ceinture, il se ramasse dans l'anneau solide tempo- raire en question. On trouve en effet cet anneau constamment rempli par les spermatozoïdes, et c'est à son intérieur que ces éléments se rassemblent pour pénétrer dans les poches copulatrices dont il contient les orifices pendant l'accouplement. On voit souvent les spermatozoïdes déborder de chaque côté et former une couche entre l'anneau en question et le dos du Ver qu'il étreint.

Quelle est la nature de cet anneau? Est-ce vraiment la cuticule de la cein- ture que chaque animal décollerait pour s'introduire au-dessous? Est-ce sim- plement une sécrétion de la ceinture qui se solidifie pendant l'accouplement et maintient unis les deux Vers? Les apparences sont pour la première hypo- thèse; mais l'examen histologique, à défaut de l'observation directe, fort dif- ficile à réaliser, permet seule de décider. Nous avons donc étudié avec le plus grand soin la pellicule très-résistante qui constitue cet anneau, mais nous n'a- vons aperçu, dans aucune de ses parties, les caractères si nets qui distinguent la cuticule des Lombrics. C'est donc très-probablement une simple sécrétion solidifiée de la ceinture, ainsi que l'avait admis Héring, sécrétion plus résis- tante d'ailleurs, quand elle est solidifiée, que la cuticule elle-même. On ne peut s'empêcher toutefois d'être étonné de l'apparence absolument membra- neuse que prend cette sécrétion en se solidifiant; et le fait est d'autant plus singulier, que la partie glandulaire de la ceinture, au contraire de l'anneau qu'elle doit former, ne s'étend pas au-dessous du corps. Après l'accouplement, les Vers se débarrassent de cet anneau membraneux en le faisant glisser par des mouvements péristaltiques jusqu'à l'extrémité postérieure du corps.

Il est donc hors de doute que la ceinture est avant tout un organe d'adhé- rence pendant l'accouplement. On a dit aussi qu'elle servait à sécréter les capsules dans lesquelles on trouve les œufs des Lombrics enfermés en nombre variable. L'identité d'apparence entre l'anneau dont nous venons de parler et la capsule elle-même, le fait qu'on rencontre souvent des Lombrics en train de sécréter un anneau semblable en dehors du moment de l'accouplement.

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militent en faveur de cette hypothèse, mais nous n'avons malheureusement aucune observation complète qui puisse nous permettre d'affirmer